La Gazette Santé Social

Orchestrer la prise en charge des patients dont la situation sanitaire et sociale est « complexe » : telle est la mission des coordonnateurs d’appui

Quelle aide ce médecin généraliste peut-il apporter à un patient vivant avec le VIH ainsi que le virus de l’hépatite C et souffrant d’une dépression, qui l’a conduit à ne pas renouveler son titre de séjour, puis à perdre son emploi… avant d’accumuler les dettes de loyer ? Il a eu la possibilité de téléphoner à un interlocuteur particulier : le « coursier sanitaire et social ». « Nous avons pris contact avec le patient, puis réalisé un diagnostic de sa situation, raconte Sarah Majdi, à ce poste depuis trois ans. Nous l’avons alors accompagné vers des soins. Et nous sommes parvenus à le faire régulariser, après huit mois de démarches – jusqu’à l’Elysée ! Aujourd’hui, sa situation est débloquée. »

Des coordonnateurs plus « politiques »

D’après la DGOS, des « coordonnateurs institutionnels » peuvent être utiles dans les réseaux de santé pour assurer « l’animation et les liens avec les acteurs du territoire et la gestion des projets ». Le docteur Gérard Mick joue ce rôle « politique » à la Plateforme de santé du Voironnais, dans l’Isère : « Pour que les professionnels coopèrent, il faut l’autorisation de leurs responsables. » Par ailleurs, « un temps médical » peut être dégagé, selon la DGOS, pour « apporter une expertise médicale aux médecins généralistes de premier recours et à l’équipe d’appui [et] faciliter les échanges, la coordination et la mobilisation des acteurs ». Ancien utilisateur quotidien de l’Association du réseau de santé de proximité et d’appui (Arespa), en Franche-Comté, le docteur Jean-François Roch y assure désormais cette mission. Mais, plutôt qu’une expertise, il propose aux médecins traitants un recours face aux cas complexes. Et se charge d’informer ses confrères de l’intérêt du service.

Spécialistes de la polyvalence

Sibel Bilal, engagée de longue date dans des dispositifs d’accès aux soins, a imaginé le métier dès 1994. Pour éviter à de simples accidentés de la vie d’être soudain précipités dans l’exclusion, elle constitue alors, en Ile-de-France, une première équipe de « coursiers sanitaires et sociaux » : « Des spécialistes de la polyvalence, que les médecins généralistes peuvent contacter par un simple appel pour assurer à leurs patients un parcours de soin optimal. » Les financements n’ont pas duré. Mais l’idée a fait son chemin.

Vingt ans plus tard, le métier s’implante à travers la France, sous des formes et des appellations diverses. Dès 2008, autour de Besançon, et depuis 2012 dans toute la Franche-Comté, peuvent être sollicitées les « coordonnatrices d’appui » de l’Association du réseau de santé de proximité et d’appui (Arespa). Egalement en 2008, les « coursiers sanitaires et sociaux » sont réapparus en Seine-Saint-Denis, et maintenant à Paris, avec le Centre de ressources pour mini-réseaux de proximité. En Isère, des « infirmières de proximité » assurent le service, depuis 2012, avec la Plateforme de santé du Voironnais (PSV). Et des fonctions analogues sont exercées dans la région de Douai (Nord), ou en Lorraine.

Bien sûr, « chaque réseau se construit en fonction de son territoire : sa géographie, son offre de soins et les liens déjà développés entre les professionnels », souligne le docteur Gérard Mick, directeur de la PSV et coprésident de l’Union nationale des réseaux de santé (UNRS). Ainsi, les uns prennent en charge toute problématique complexe aux plans sanitaire et social, tandis que les autres restreignent leur champ d’action à certaines pathologies. De même, plusieurs proposent de réaliser les démarches sociales du patient, alors que d’autres préfèrent solliciter des assistants de service social extérieurs. Et si tous sont joignables par les professionnels de santé, certains peuvent l’être par les patients eux-mêmes.

Néanmoins, tous partagent, peu ou prou, la même mission : apporter un « appui aux médecins généralistes et aux équipes de premier recours pour la prise en charge des situations complexes [notamment sur les aspects médico-sociaux], leur permettant de gagner du temps et de mieux orienter leurs patients », comme le définit la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) [lire l’encadré Méthodologie]. Souvent financés sur le fonds d’intervention régional des agences régionales de santé (ARS), ces services peuvent s’avérer particulièrement précieux pour anticiper l’entrée d’un patient à l’hôpital, gérer sa sortie, ou favoriser son maintien à domicile.

Professionnels de santé ou travailleurs sociaux

« Ressource humaine principale » de ces réseaux, comme le rapporte la DGOS, le « coordonnateur d’appui [se charge] du suivi des parcours des patients, en lien avec l’équipe de soins de premier recours ». Généralement professionnel de santé ou travailleur social, ce chef d’orchestre doit pouvoir coordonner le parcours de 150 à 200 patients par an et assumer des missions variées. La première d’entre elles est d’évaluer la situation de l’intéressé. A l’Arespa, dès qu’un « cas complexe » est indiqué par téléphone, « nous prenons contact dans les 48 heures avec le patient ou sa famille, ainsi qu’avec son médecin traitant », explique la coordonnatrice d’appui Aline Sillans-Porcar. « Puis nous organisons une visite à domicile, dans 90 % des cas. Cela est indispensable pour se rendre compte des besoins réels de la personne. »

Une concertation entre les professionnels impliqués peut compléter l’évaluation. « Pour organiser le retour à domicile d’un patient tétraplégique, nous avons dû rencontrer le médecin de son foyer, un service de soins infirmiers à domicile et un prestataire d’auxiliaires de vie, notamment, illustre Jacqueline Nevado, infirmière de proximité à la PSV. Cela permet d’avancer dans le décloisonnement des secteurs sanitaire et social. Nous n’avons pas encore le même langage, mais cela va venir ! » En Ile-de-France, le patient est parfois invité à la réunion.

Aiguilleurs

Un plan personnalisé peut alors être proposé au médecin traitant, pour traduire « les besoins du patient » et établir « le programme des interventions des professionnels de santé et personnels médico-sociaux », résume la DGOS. Le coordonnateur d’appui le met en œuvre : à lui, par exemple, de solliciter un portage de repas à domicile, d’en trouver le financement, puis de réévaluer ultérieurement les besoins du patient. « Nous devons consigner toutes nos actions sur ordinateur, notamment pour partager ces informations avec les professionnels de santé », précise Jacqueline Nevado.

« Nous sommes là pour tirer la bonne ficelle au bon moment et aiguiller la personne dans son parcours de santé », résume Aline Sillans-Porcar. Cela suppose une compétence : une excellente connaissance des dispositifs sanitaires et sociaux sur le territoire. « Il faut aussi savoir écouter et aimer le contact », ajoute la coordonnatrice de l’Arespa – qui ne donnerait « sa place pour rien au monde ».

Les médecins généralistes semblent apprécier ce nouvel appui. A Paris, la docteure Marie Chevillard y recourt depuis avril pour se décharger des difficultés sociales de ses patients. Et elle n’a pas encore « trouvé de limites » à ce service « formidable ». »

Témoignage

« Une réelle avancée pour les médecins »

Serge Morais, directeur de l’accès à la santé et aux soins de proximité, à l’agence régionale de santé (ARS) Lorraine

« En Lorraine, six "réseaux territoriaux de proximité" ont été constitués, depuis 2011. Pour couvrir toute la région, nous nous appuyons sur les réseaux de santé. Jusqu’ici, tous étaient monothématiques ; les médecins se plaignaient que leurs patients soient "découpés" par pathologie. Désormais, les réseaux territoriaux coordonnent les soins avec quatre priorités : le maintien à domicile, l’éducation thérapeutique, l’addictologie et les soins palliatifs. Des réseaux régionaux spécialisés proposent toujours une expertise sur des pathologies. Nous avons dû mener un important travail auprès des structures existantes, épaulés par les unions régionales des professionnels de santé. Pour un médecin, un numéro d’appui unique constitue une réelle avancée ! »